Over a period of more than thirty years, arc en rêve in Bordeaux has organized events and lectures, inviting guest architects and theorists, specialists and non specialists to share their ideas and discuss issues relating to urban design, architecture and communal living. It has thus contributed to the emergence of specific expertise and the dissemination of contemporary architectural and urban culture, stepping well beyond local boundaries.

arc en rêve la revue is a publication and republication medium designed to provide gradual access to selected archives, most of them previously unpublished. The idea is to mine the various strata of arc en rêve’s thirty-year history, so that the data can be activated and used to address relevant topical issues.

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Projet conduit par Marie Bruneau et Bertrand Genier dans le cadre d’un partenariat avec le ppLab

Design, développement : Julien Bidoret

© arc en rêve centre d’architecture, et les auteurs / tous droits réservés


Merci

à la mairie de Bordeaux,
qui soutient arc en rêve depuis sa création

au ministère de la Culture et de la Communication / Direction générale des patrimoines / DRAC Aquitaine,
et aussi
à la communauté urbaine de Bordeaux
à la région Aquitaine

à nos partenaires privés :
aquitanis

Fondation d’Entreprise Bouygues Immobilier
Texaa

et aussi
Château Chasse-Spleen
Tollens Materis Peintures


Johannesburg

Christophe Hutin, architect, Bordeaux

Christophe Hutin’s career began – politically and poetically speaking – in Johannesburg in 1994, just after Nelson Mandela was elected : he spent a year in Soweto, where he worked with the ANC (African National Congress). When he returned to France he decided to become an architect.
In 2003, shortly after graduating, he set up Christophe Hutin architecture with Nicolas Hubrecht and Vincent Puyoô. In 2004 he received a research grant from the AFAA (Association Française d’Action Artistique) that enabled him to return to Soweto to investigate housing initiatives ten years after the advent of democracy and the implementation of policies by Mandela and the ANC.


Arc en rêve centre d’architecture has presented Christophe Hutin’s work on a number of occasions : an exhibition entitled rétrospective perspectives, le grand parc, with Anne Lacaton, Jean-Philippe Vassal and Frédéric Druot, 2013 / in the framework of the 50 000 logements, with Anne Lacaton, Jean-Philippe Vassal and Frédéric Druot, 2012 / as part of the call for ideas entitled Création architecturale et innovation urbaine dans le centre historique de Bordeaux, 2007 / as part of the exhibition [36] Histoire de maisons, 2006 / and a video/photo installation entitled Township Today, as part of the exhibition entitled Est/Ouest-Nord/Sud #3, 2005. A carte blanche exhibition was presented in 2009 entitled : Construire librement, l’enseignement de Soweto.
In November 2013, while we were preparing this dossier on Africa, we asked Christophe Hutin to talk about his unique relationship with South Africa, and the impact it has had on his work as an architect and teacher. This conversation (in printed and audio format) was recorded in his studio on Rue Turenne in Bordeaux.
Christophe Hutin architecture official website

Christophe Hutin #3/3

Détroit, USA

Conversation with Christophe Hutin
in his studio on Rue Turenne in Bordeaux,
17 December 2013.
Interview conducted by Marie Bruneau and Bertrand Genier

Bertrand Genier (B.G.) : Can you tell us about your recent experience in Detroit? After working on a growing city, you’re now working on a shrinking city?

Christophe Hutin (C.H.) : Yes, in a way! I was invited to workon a district located in the southwest of the city, near the Ford plant. Every other house is vacant because of expropriations organized by the banks. Acts of sabotage are increasingly frequent; to prevent speculation on their property, some people who have been expropriated burn their houses down, sometimes hardly three feet away from the neighbouring house… All that creates a complex climate in a more general context of financial hardship that’s specific to the city. The people of Detroit have clear-sightedly understood that macroeconomics will have no incidence on their daily lives. On the initiative of several residents’ associations, and in coordination with the University of Detroit, the French Embassy offered to finance a project by a French architect. My competition entry caught the residents’ attention because of my work in South Africa, especially the orphanage we rebuilt with the participation of 120 people from the local community, in Soweto.
Coming from the Americans, the choice really surprised me, because ultimately it’s a model for action in a slum in Africa that we want to import into Detroit, USA! I see it as an incredible sign of the times. So despite a pretty formal and academic American approach to architecture, hardship leads certain people to adopt an attitude of «informed pragmatism».

Marie Bruneau (M.B.) : C’est plutôt encourageant, et ça veut bien dire qu’il ne faut pas baisser les bras…

C.H. : Non, mais ce qu’on peut remarquer, c’est que l’initiative, encore une fois, vient des habitants, et que l’université est un peu à la traîne sur ces questions, alors que c’est elle qui devrait être le moteur des innovations.

B.G. : Donc, vous avez commencé à travailler ?

C.H. : Oui, j’ai passé une semaine là-bas, le projet s’est fait en une semaine, et je me suis régalé ! C’est un tout petit projet, mais il en dit long sur la façon dont on pourrait procéder. Notre partenaire, c’était le Detroit Collaborative Design Center (DCDC)2, un département de l’université de Détroit. Ces gens ont l’ambition de faire des projets collaboratifs. Ils travaillent avec une organisation communautaire formée de jeunes gens attachés à leur quartier, qui veulent continuer à y vivre malgré le départ de leurs parents. Ils se bougent, ils s’occupent des maisons en ruine, etc., mais tout se passe dans une grande précarité car il n’y a plus aucun service public en état de fonctionner.
Ils avaient donc identifié une parcelle, sur laquelle ils voulaient faire un projet. Et j’avais mission d’accompagner cette démarche. Une parcelle d’angle, dans un quartier de maisons (c’est précisément là que Clint Eastwood a tourné son film Gran Torino), sur laquelle on venait de démolir un ancien club de vétérans de la guerre du Vietnam.
Je suis arrivé un dimanche soir, et je devais faire en sorte qu’on puisse inaugurer le projet le samedi suivant. Avant ma venue, j’avais demandé aux étudiants de documenter la question : connaître les habitants, inventorier tous les sujets, savoir quels étaient les problèmes à traiter3. De la même manière que pour refaire l’orphelinat de Soweto, le sujet n’était pas de faire une démonstration, ni de dessiner un bâtiment très beau : il fallait commencer par identifier tous les problèmes, pour essayer ensuite d’imaginer des dispositifs permettant d’améliorer le quotidien, en partant vraiment de la base, c’est-à-dire des choses qui sont déjà en place. Pendant trois mois, le département de l’université a mis en place un atelier, et les étudiants ont mouliné sur le sujet… Ils ont rendu des panneaux au format A0, avec des titres, des mots, reliés par des flèches – s’amuser… se promener… –, des plans-masse sur lesquels la parcelle était représentée en gris, comme un sol neuf… Bref, ils avaient fait « du design » dans un académisme affligeant. Pour les provoquer, j’ai récupéré sur Street View, les photos des façades de toutes les maisons du quartier. Sur certaines images, on voit des habitants devant leur maison, on voit ceux qui ont des arbres et ceux qui n’en ont pas, on voit une rampe d’accès et on comprend bien que la personne qui vit là est en fauteuil roulant, on voit les autocollants et on peut savoir qui est républicain et qui est démocrate, etc. Bref, toute la complexité de la vie, telle qu’on peut l’appréhender par la documentation. C’était ma façon de leur dire : « voilà le sujet ! »

Les étudiants avaient imaginé des structures en bois, avec des ombrages, des bancs. Tout un système de structures assez compliquées, et chères à construire… Le lundi, quand ils m’ont présenté leurs documents, je dois dire que j’étais assez déprimé. En même temps, j’étais dans une situation plutôt gênante par rapport aux enseignants : difficile de les désavouer devant leurs étudiants. J’ai alors expliqué que je n’étais pas charpentier, et que je ne leur serai d’aucune aide pour réaliser ce genre de travaux. Et je leur ai proposé l’organisation suivante : « Voilà, je rêve d’aller voir les Indiens dans le Nord du Michighan4, donc je vais aller me promener, et quand je reviens, à la fin de la semaine, on inaugure ce que vous aurez fait : de cette façon, je ne gêne personne, je ne suis moi-même pas gêné, et tout va bien ! » Et puis, nous avons réfléchi : s’ils étaient dans une démarche de production complètement académique, c’est qu’ils avaient fait ce qu’on leur avait demandé de faire, mais ils sont moins bêtes que ça, les étudiants ! Nous avons donc décidé de nous rendre à pied sur le terrain, tous ensemble. Arrivés là, nous avons trouvé une grille avec un portail fermé par une chaîne et un cadenas. « La première chose qu’il faudrait faire, leur dis-je, c’est de couper la chaîne. Et ça sera peut-être suffisant : juste ouvrir le terrain, et en rendre l’usage aux habitants du quartier. » Et j’ai ajouté : « Comme vous avez l’ambition de faire des choses avec les habitants, vous devez les connaître. Nous allons faire du porte-à-porte, et aller voir tout le monde. » Nous avons donc invité les habitants du quartier pour 18 heures sur la parcelle, et nous avons officiellement ouvert le terrain, en coupant le cadenas avec une pince-monseigneur. C’est très symbolique, mais ça a très bien fonctionné. C’était une première action. J’ai dit : « Écoutez, comme je suis un peu fainéant, c’est peut-être suffisant, non ? » Mais comme nous étions sur place, nous avons observé le terrain : il y avait encore la trace de l’ancien bâtiment démoli, et visiblement, en sous-sol, une conduite d’eau de la ville, qui était percée. Et comme il n’y avait plus de services publics, donc évidemment, personne pour la réparer, on se retrouvait avec un plan d’eau, potable, en plein milieu du terrain ! Toutes les propositions d’aménagement imaginées à l’université devenaient, de fait, impossibles : il aurait fallu réparer le tuyau et pomper l’eau avant de pouvoir poser leurs structures… Il ne me restait plus qu’à dire : « Eh bien voilà, c’est ça la réalité, et c’est de ça dont je voulais parler ! Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? »

À partir de là, toute l’organisation de la semaine s’est reconfigurée : il était prévu que l’atelier se déroule à la fac, nous avons décidé que tout se passerait sur le site, et avec les habitants. Nous avons ensuite réexaminé chacun des objectifs qui avaient été définis, et cherché comment les traiter par des moyens plus simples. Ils voulaient faire de l’ombre, on allait planter des arbres fruitiers. Il se trouve que l’un des étudiants travaillait, pour financer ses études, dans une entreprise de paysagistes. C’est quand même fou : on demande à des étudiants de faire ce qu’ils ne savent pas faire, alors que les compétences préexistantes ne sont pas activées ! [il montre quelques images…] Donc le mardi, on s’est mis au boulot : on a commencé par planter des arbres. Les enseignants sont arrivés avec du papier-calque, en disant : « Il faut absolument dessiner les plans, pour savoir où planter les arbres… » Je leur ai dit : « Oui, vous avez raison, il faut dessiner. Comme je m’en vais dimanche, je vous propose donc de dessiner la semaine prochaine. Vous dessinerez le projet après l’avoir fait, pourquoi pas ? » En fait, on s’est rendu compte que comme il y avait dans le sol les restes des dalles en ciment, il n’était pas possible de planter n’importe où, et qu’il fallait donc s’adapter aux contraintes du terrain. La mare d’eau qui stagnait est devenue un bassin, c’est-à-dire que ce qui était un problème technique est devenu un projet. On a trouvé des pavés, on a acheté du ciment, on a fait une bordure pour former le bassin, et toutes les plantes qui étaient déjà-là ont été conservées : c’est un projet ready-made. Puis, j’ai demandé aux étudiants de travailler sur un inventaire des plantes. Nous nous sommes rendu compte que la plupart d’entre elles sont comestibles. Les Indiens les connaissent, et les consomment. Ils les nomment, en reconnaissent le goût, les qualités nutritives et médicinales. Nous avons posé des cartels, et écrit le nom de toutes les plantes que nous avions identifiées… C’est quand même formidable, l’accès à la connaissance !

M.B. : Ce sont des questions qui t’intéressent particulièrement ?

C.H. : Oui, peut-être… Mais j’ai surtout lu Gilles Clément. On pourrait croire que tout ça, c’est du bricolage, que c’est de l’action, au sens réducteur du terme… Comme s’il y avait une position de constructeur d’un côté, et une position d’intellectuel de l’autre. En France, on opère souvent ce genre de clivage. Ici, c’est tout le contraire : nous avons fait appel au monde de l’art, avec Marcel Duchamp et ses ready made, à la botanique, à la pensée de Gilles Clément sur les délaissés… La dimension intellectuelle n’est pas absente de nos actions.
Mais l’aventure ne s’est pas arrêtée là, nous avons trouvé des blocs de béton, que nous avons transformés en assises… Finalement, les habitants voulaient un lieu de réunion publique. Au même moment, un groupe d’étudiants, très enthousiastes, vient me voir en me disant : « Christophe, nous avons trouvé 100 palettes… » Or moi, je déteste les palettes ! C’est vraiment la solution idiote : à chaque fois qu’on ne sait pas quoi faire, eh bien, on va chercher des palettes. Je réponds aux étudiants : « OK, je veux bien que l’on utilise des palettes, puisque vous les avez, mais dans ce cas, on va se donner une règle : hors de question de les poser en vrac, sans compétence, je veux que l’on parvienne à des prestations de la qualité de celles d’un menuisier ou même d’un ébéniste. Nous avons aplani le sol pour obtenir un niveau parfait, puis nous avons pris très exactement les cotes des palettes, et nous nous en sommes servis de structure pour construire cet élément mobilier, que nous avons ensuite habillé de contreplaqué. Et voilà le résultat ! [il montre l’image] Au final, plusieurs gamins sont venus nous demander si on pouvait poser une cornière métallique sur les arêtes, pour qu’ils puissent faire du vélo, du bicross et du skate sur cette « piste ». Le samedi, nous avons fait l’inauguration du parc, et lâché des poissons dans le bassin. Finalement, voilà un projet tout simple, fait en une semaine, mais qui dit beaucoup de choses sur la ville, et sur la manière dont on fait les projets. En termes d’enseignement, c’est fantastique : c’est vraiment l’anti-académisme.

M.B. : On peut penser que, parmi toutes ces personnes qui participent aux actions que tu mènes, il y en a un certain nombre qui va en sortir plus conscient des enjeux de leurs projets ?

C.H. : Je l’espère ! J’espère au moins qu’après ça, ils ne feront plus de panneaux A0. Peut-être pas tous, mais du moins certains… En tout cas, j’ai lu sur leurs visages, entre le lundi et le samedi, une grosse différence : on passe de l’inhibition au plaisir. Voilà… On a fait le tour ?

M.B. : Sans doute pas, mais ce n’est déjà pas mal…


NOTES

1. http://www.christophehutin.com/CH/Workshop_Detroit… html

2.au sein de l’University of Detroit Mercy School of Architecture

3. https ://www.facebook.com/SacramentoKnoxx

4. « Par ailleurs, je souhaitais travailler avec une communauté indienne : les Indiens du Michighan – les Ojibwés –, savent très bien vivre en relation avec la nature. Ils n’ont par exemple, jamais de problème avec l’ours, alors que les chasseurs américains, en treillis et en 4 x 4, se font régulièrement attaquer par les ours. À Détroit, il n’y a plus d’entretien de la végétation, c’est une friche, au sens où l’entend Gilles Clément : on a des délaissés, qui vont devenir des forêts. Je trouvais l’idée que des indiens puissent venir ‘sauver Détroit’ assez belle. J’ai eu de la chance : il y avait, dans le quartier, une communauté indienne d’Ojibwés, et notamment un jeune artiste – Sacramento Knoxx10, qui a été embauché pour documenter le projet en vidéo. J’ai passé la semaine avec lui, il m’a montré la ville, la nuit… »