Over a period of more than thirty years, arc en rêve in Bordeaux has organized events and lectures, inviting guest architects and theorists, specialists and non specialists to share their ideas and discuss issues relating to urban design, architecture and communal living. It has thus contributed to the emergence of specific expertise and the dissemination of contemporary architectural and urban culture, stepping well beyond local boundaries.

arc en rêve la revue is a publication and republication medium designed to provide gradual access to selected archives, most of them previously unpublished. The idea is to mine the various strata of arc en rêve’s thirty-year history, so that the data can be activated and used to address relevant topical issues.

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Projet conduit par Marie Bruneau et Bertrand Genier dans le cadre d’un partenariat avec le ppLab

Design, développement : Julien Bidoret

© arc en rêve centre d’architecture, et les auteurs / tous droits réservés


Merci

à la mairie de Bordeaux,
qui soutient arc en rêve depuis sa création

au ministère de la Culture et de la Communication / Direction générale des patrimoines / DRAC Aquitaine,
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Dakar

Lacaton et Vassal, architects, Paris

Bordeaux and Africa. Immediately after graduating from the Bordeaux School of Architecture in 1980, Jean-Philippe Vassal spent five years in Niger ; Anne Lacaton, who was involved in the educational workshop project at arc en rêve centre d’architecture at the time, visited him on a regular basis. In 1987, the set up the firm in Bordeaux that bears both their names. This long preliminary detour strongly influenced their way of seeing and their approach to architecture : since their first emblematic building, the Latapie House (Floirac, 1993), their unique work has constantly been rooted in their African experience. It is thus no coincidence that the first ever building by Lacaton and Vassal (Straw matting hut, Niamey, Niger, 1984) was constructed on African soil.

arc en rêve centre d’architecture presented their work in a monographic exhibition : Lacaton et Vassal, in 2003, then as part of the exhibition entitled 50.000 logements, with Christophe Hutin and Frédéric Druot, in 2012, and the retrospective exhibition entitled rétrospective perspectives, le grand parc, also with Christophe Hutin and Frédéric Druot, in 2012 – 2013.
In November 2013, when we were preparing this dossier on Africa, we asked Anne Lacaton and Jean-Philippe Vassal to look back over their African experience and its impact on their work as architects. This long interview (in both printed and audio format) was recorded in their studio on the Rue Lafayette in Paris ; it challenges a few preconceived ideas and shows what Africa can teach us about modernity…

Lacaton et Vassal official website

Lacaton et Vassal #2/5

doing more with less: a road to freedom…

About Africa…

Conversation with Anne Lacaton and Jean-Philippe Vassal,

in their studio on Rue Lafayette, Paris,

on 23 November 2013.

Interview conducted by Marie Bruneau and Bertrand Genier


Bertrand Genier (B.G.) : Peut-on dire que cette pratique de l’assemblage, décomplexée et sans tabou, se retrouve, par exemple dans la maison Latapie, où vous avez, d’une certaine manière, « assemblé » une serre horticole avec une sorte de boîte en bois ?

Anne Lacaton (A.L.) : Most of all I think that experience in Africa opened up a road to freedom by making us think about each thing on its own merits, to try to understand in what way it is pleasant or beautiful and in what ways it might be useful to us… and to think about how to position ourselves with respect to that thing without imposing any restrictions. Of course there are always constraints: a structure, has to be stable, for instance! That’s precisely where freedom lies, for each project: in the way you relate to the situation and in the economical way you approach what you do and go about things.

Jean-Philippe Vassal (J.-P.V.) : Oui, c’est la maison Latapie, mais c’est aussi le projet de la Cité manifeste, à Mulhouse, où l’on a une sorte de structure de garage sur lequel on pose une serre professionnelle. On retrouve là les outils les plus efficaces, et les plus performants possibles : la serre horticole pour sa capacité à gérer le climat, et la structure préfabriquée de type parking pour gérer de la surface et du volume. La maison du Cap-Ferret, c’est la même chose, mais la différence, ici, c’est qu’il s’agit de l’interaction entre une forêt et une construction de métal et de béton, qui fabrique une situation. Et la transformation de la tour Bois-le-Prêtre, c’est pareil : il y a un existant, auquel on vient rajouter des choses, plutôt que de démolir et de refaire. Ce qui est très intéressant pour nous, qui ne manquons pas de matériaux, c’est de considérer les situations urbaines comme des matériaux : comment, avec la complexité de la ville, être capable de découvrir des opportunités, et d’en profiter. Et je pense que ce que nous avons fait sur la tour Bois-le-Prêtre se fait déjà depuis 20 ans dans le centre de Johannesburg, en réutilisant les immeubles laissés à la fin de l’apartheid. Vous parlerez de ça avec Christophe Hutin… Si on demandait à ces gens qui vivent à Johannesburg, de venir nous aider dans les banlieues – en essayant d’associer les habitants et de travailler avec eux, plutôt que de les considérer comme des « catégories » passives, ou difficiles à manier –, on s’en sortirait beaucoup mieux !

A.L. : Oui, à condition d’avoir la maîtrise de l’argent qui est dépensé…

M.B. Cette liberté que vous avez découverte en Afrique tient donc à une certaine remise en question des références, y compris esthétiques…

J.-P.V. : Oui, parce que ce qui se produit est le résultat d’un travail un peu intuitif, mais efficace et léger. Il s’agit, à partir du minimum de donner le plus possible. Et dans cette fabrication-là, il y a quelque chose qui se crée tout seul, sans que l’on ait besoin d’y réfléchir, et qui est intéressant.

M.B.: Il suffit donc de recueillir ce surgissement ?

A.L. : Oui, dans la mesure où on accepte la suite, c’est-à-dire que des gens s’en emparent, et en font quelque chose, qui n’est pas toujours ce qu’on avait dans la tête à l’origine, mais qui est toujours quelque chose de bien. Nous nous donnons de la liberté, mais dans le but d’en donner aussi à ceux qui vont utiliser les espaces. Pour revenir à la maison Latapie, il ne s’agit pas d’un exercice de manipulation de matériaux, et la question n’est pas de dépasser le registre des matériaux attendus, ou d’inventer de nouveaux assemblages ; mais fondamentalement, il y a là un propos, une intention, une position extrêmement forte au départ, et en l’occurrence, sur la question du logement, c’est bien celle de vouloir défoncer les standards de l’habitation. Et tout part de là. En fait, pour une maison comme celle des Latapie, si l’objectif n’est pas celui-ci, on n’a pas de raison d’aller chercher tel ou tel système de construction. C’est bien parce qu’à un moment donné nous nous sommes donné l’objectif de faire une maison très spacieuse, ce qui ne correspond pas vraiment aux critères de la petite maison standard, et de le faire avec les moyens de la famille Latapie, qu’il nous a fallu aller chercher des solutions non conventionnelles. Pour la Cité manifeste, à Mulhouse, c’est pareil : l’idée, c’était de sortir des standards étriqués du logement social. Ce sont ces intentions de départ qui restent notre priorité.

B.G. : Cette préoccupation de chercher comment faire plus avec moins, même si elle a pu en agacer certains, est aujourd’hui devenue d’une très grande modernité : nous devons prendre conscience que nous n’aurons jamais plus, et même que nous aurons plutôt moins, et qu’il faudra donc essayer de faire mieux avec moins.

A.L. : Oui. Ou bien que si tu utilises plus, c’est aux dépens de quelque chose, ou de quelqu’un d’autre… En même temps, faire moins cher, ça ne veut pas dire faire moins bien. C’est très positif, c’est très optimiste, comme attitude.

J.-P.V. : Rien n’a jamais montré que ce qui est plus cher est plus beau ! En même temps, cette question-là est subtile, et on peut se faire avoir très vite, avec ce genre de discours. Et notamment par les gens qui disent : « Alors, faisons moins avec moins ! »

A.L. : Oui, c’est très facile de renverser le problème. 

After the Latapie House, for example, some people might dream of making a house for the same price per square metre, only smaller, but that’s not what we were aiming at. That’s why we have to be very clear about the position we’re defending.

J.-P.V. : Cette façon de réfléchir et de se positionner nous aide, parce qu’elle nous place en position de relever un défi. Et c’est cet aiguillon qui stimule notre recherche, qui nous oblige à sortir des sentiers battus, à reconsidérer des réglementations que l’on voudrait nous imposer… Nous nous disons toujours : il n’y a pas de raison que je ne parvienne pas à atteindre des objectifs plus performants que ceux que l’on me donne, mais à condition de pouvoir les gérer avec mes moyens. Pour le Frac Nord Pas-de-Calais, par exemple, on nous avait demandé de faire un bâtiment dans une ancienne halle de réparation de bateaux, et de le remplir de quatre ou cinq niveaux de planchers ; nous avons bien vite compris que si on faisait ça, on allait perdre le vide intérieur qui fait toute la qualité de cet espace. Alors, tout est devenu évident, et l’idée de dupliquer le volume de cette halle s’est imposée. Et au final, c’est bien plus économique, parce qu’il est nettement plus simple de construire à côté que de construire dedans. Au bout du compte, les utilisateurs ont gardé le bénéfice de ce vaste espace demeuré intact, mais il y a peut-être encore quelque chose de plus important, c’est que la mémoire de ces lieux est préservée. Car bien plus que le bâtiment vu de loin, c’est le vide intérieur qui est impressionnant dans cette halle.

Chaque projet contient toujours une sorte de challenge – y compris sur le plan économique – qui pousse à réfléchir davantage. On devrait être payé en fonction du temps que l’on passe à réfléchir, plutôt que sur la quantité des matériaux que l’on met en œuvre, ou leur prix ! Je me souviens, pour le projet de la maison Latapie, du travail considérable qu’il a fallu faire sur le fibrociment pour que les panneaux s’ouvrent et se ferment correctement, etc. À mon sens, un matériau sur lequel il y a eu tout ce temps passé devient, de fait, plus intéressant qu’un marbre posé n’importe comment.

A.L. : On peut aussi avoir le souci de la quantité de matière mise en œuvre. Je me souviens de la belle leçon que nous avons prise, sur cette maison, de la part de l’ingénieur qui calculait les structures. Il nous a un jour demandé – en prenant des précautions parce qu’il ne voulait pas se mêler d’architecture – si nous tenions absolument à employer partout des profils en « H » (c’était notre choix, en référence à la maison Farnsworth de Mies van der Rohe, où poteaux et poutres sont de la même section). Il nous a alors expliqué en quoi ce choix n’était pas du tout intelligent : les profils ne sont pas soumis aux mêmes forces selon qu’ils sont poteau ou poutre, qu’ils soutiennent un plancher ou une toiture… Pourquoi auraient-ils tous le même profil ? On peut être plus direct… Il avait raison !

J.-P.V. : Dans le premier projet, la maison pesait 13 tonnes, dans le second, elle est redescendue à 8 tonnes ! Au prix de l’acier, à l’époque, on a économisé cinquante mille francs. C’était à peu près ce qui manquait pour arriver à boucler le budget.

A.L. : Nous avons eu la chance de tomber sur quelqu’un de très bien ! En termes d’écologie, cette façon d’établir un rapport direct, d’utiliser juste ce que l’on a besoin, et pas plus, c’est la base…

J.-P.V. : Pour le palais de Tokyo, c’est la même chose : à chaque fois qu’on a eu besoin de réduire les coûts, et qu’on a repris une question, simplifié un système technique, le projet a gagné en qualité : on enlevait du superflu…

A.L. : Par exemple, concernant les eaux pluviales, nous avons décidé de faire en sorte que les eaux pluviales aillent toujours au plus direct. Et on a économisé des centaines de mètres de canalisation, par rapport aux plans des ingénieurs. Et pour les câbles électriques, pour les réseaux de ventilation… tout est comme ça. Ce n’est pas obsessionnel, c’est simplement un moyen de ne pas avoir à rogner sur des questions de fond : au palais de Tokyo, quand il fallait rogner, nous n’avons jamais dit : « Eh bien, on va enlever mille mètres carrés », mais nous avons toujours essayé de rogner sur ce qui ne nous semblait pas intéressant, comme les gaines techniques, par exemple. Et on s’est rendu compte qu’en creusant les questions, on pouvait en enlever des quantités de matière. S’il y a de l’argent, on n’a pas besoin de faire ce travail. Et nous en sommes arrivés à ce constat, qui est très paradoxal, mais très vrai : l’économie crée de la liberté.

M.B.: Ultimately Africa allowed you to exercise your profession as researchers?

J.-P.V. : Yes, and primarily because it’s more interesting to do things that way: it’s more enjoyable to do research than to always reproduce the same recipes for each new project. There’s a kind of continuity in our work, but at the same time we always ask questions, systematically.

A.L. : Yes, that’s what enables us to push the envelope further and further. I think Africa asked us a fundamental question: «Fundamentally, what does it mean to practise architecture?» I even wonder if anyone asked me that question when I was studying architecture. I don’t think they did.

En Afrique, celui qui n’a pas grand-chose a besoin de se faire un abri. Il cherche des morceaux de bois, et il comprend très vite qu’en faisant un trépied, ça tient tout seul, et que s’il met un manteau dessus, ça lui fait un parasol. Au début, tu considères tout ça comme assez dérisoire – « Ce sont des pauvres » –, mais au bout d’un moment, tu comprends que cet homme fait de l’architecture, tous les jours : il passe d’une situation où il lui est impossible de rester à l’endroit où il est parce qu’il y a trop de soleil, ou que c’est inconfortable, à une situation où il a créé un espace habitable. Partant de là, tu commences à comprendre que faire de l’architecture, c’est régler ces questions-là. Avec, bien entendu, une plus grande complexité que celle du parasol, mais, fondamentalement, le propos est le même. Et peut-être avons-nous retenu de l’Afrique la volonté de garder toujours en vue cette légèreté de l’objectif, et l’idée qu’il n’y a pas de raison que ces processus deviennent pesants.

J.-P.V. : Je me souviens d’une des premières conférences à arc en rêve, qui m’a beaucoup marquée : celle d’Emilio Ambaz. Il avait dit : « Si la nature était parfaite, on n’aurait pas besoin de faire de maisons. Les arbres donneraient suffisamment d’ombre, les feuilles permettraient à l’eau de couler tout en protégeant les gens qui sont dessous, etc. » On peut donc se dire que faire de l’architecture, c’est simplement rajouter ce petit peu qui est nécessaire. En Afrique, c’était ça : je me rappelle avoir passé plusieurs jours dans un campement de nomades touaregs – ils étaient à peu près trois cents personnes installées en plein désert. Nous étions une vingtaine de personnes étrangères au campement. Et nous passions la journée à bouger d’un endroit à l’autre : à telle heure, on était sous tel buisson, un peu plus tard, on faisait cent mètres de plus et on s’installait sous un arbre… Et à chaque fois, il faisait bon, et frais, alors que nous étions en plein soleil. Tout était très calme. Certains faisaient de la musique. Il y avait très peu de paroles, sans doute parce que c’était déjà fantastique, d’être là… J’avais remarqué que l’un de mes compagnons restait silencieux. À la fin de la journée, cet homme s’est mis à me parler, dans un français impeccable. Il m’explique qu’il a fait ses études de vétérinaire en France, puis travaillé quelque temps à Paris. Et quand je lui ai demandé pour quelle raison il était revenu vivre ici, il m’a répondu : « Là, sous les étoiles, c’est la plus belle maison qui puisse exister. » Finalement, on n’a pas besoin de grand-chose pour être très bien…