Over a period of more than thirty years, arc en rêve in Bordeaux has organized events and lectures, inviting guest architects and theorists, specialists and non specialists to share their ideas and discuss issues relating to urban design, architecture and communal living. It has thus contributed to the emergence of specific expertise and the dissemination of contemporary architectural and urban culture, stepping well beyond local boundaries.

arc en rêve la revue is a publication and republication medium designed to provide gradual access to selected archives, most of them previously unpublished. The idea is to mine the various strata of arc en rêve’s thirty-year history, so that the data can be activated and used to address relevant topical issues.

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Kinshasa,

the Imaginary City

Lecture delivered by Filip De Boeck, 12 May 2005
to coincide with the exhibition WE/NS > sequence 3

Filip De Boeck is an anthropologist. He went several times to Kinshasa, DRC, with photographer Marie-Françoise Plissart and architect Koen Van Synghel, to put into words what seemed to constitute this city with broken infrastructure where things work unpredictably. They gathered words – from psychiatrists and writers – and observed, as they focused on certain anonymous, constantly moving places in the city, how the local inhabitants were the prime makers of their own urbanity. Kinshasa exists in what is observed but which is not spoken, creating its temporality in close proximity to its inhabitants. Time makes history, teaches perception, and builds physical space.


Can a city exist without architecture? And what is architecture? Up to what point is modernity modern? Up to what point is urban planning universal? Can urbanity be intangible? What urban visions does it underscore?  

Excerpts.
As the former capital of the Belgian Congo, Kinshasa occupies an important place in the history of Belgian architecture and urban planning. Today Kinshasa has become a post-colonial African city, where alternative forms of modernity are generated and where new global and local identities are formed. The book Kinshasa, Tales of the Invisible City, written by Filip de Boeck with photographs by Marie-Françoise Plissart, and the exhibition entitled «Kinshasa» curated by Filip de Boeck and Koen Van Synghel for the ninth Architecture Biennale in Venice in 2004, were designed to nourish the current debate on the contemporary Central African cityscape: a specific urban reality that invites us to challenge and rethink classic conceptions of urban design.


Dans les discours et les réflexions du monde occidental sur la manière de planifier, construire, assainir et transformer le territoire urbain et ses espaces publics, l’architecture joue un rôle de tout premier plan. Elle est, presque naturellement, considérée comme un facteur indispensable à la création d’une identité urbaine. On peut en effet difficilement sous-estimer l’importance de la forme construite et de l’infrastructure matérielle si on veut comprendre la manière dont l’espace urbain se déploie et se dessine. Toutefois, dans une ville comme Kinshasa, l’infrastructure est d’un type très particulier. Son fonctionnement est ponctué d’une incessante décomposition, marqué aussi par la perte et l’absence. L’exposition n’est pas, cependant, uniquement basée sur l’infrastructure matérielle de la ville ou de son héritage colonial. Elle est davantage un commentaire sur ce qui fonde l’urbanité de Kinshasa, qui se situe au-delà de l’architecture de la ville.

La principale unité qui fonde l’infrastructure de la ville est le corps humain. Le culturisme et l’élan vitaliste (ce culte du corps qui est si caractéristique de Kinshasa) sont parmi les activités les plus significatives de l’espace urbain. Très concrètement, le corps est à Kinshasa le seul « édifice » qui soit constamment construit et perfectionné. Les relations sociales entre les six millions de citadins génèrent un sentiment d’appartenance collective impressionnant. Les habitants de Kinshasa incarnent littéralement le marché la rue, le garage, l’église… Plus important encore, ces corps constituent le lieu d’invisibles modalités de l’acte urbain. Ils ancrent l’imaginaire urbain de la ville.

Ainsi, « Kinshasa, Tales of the Invisible City » s’attarde plus particulièrement sur la topographie de cet imaginaire congolais autochtone. Le livre propose une interprétation de la vile comme un espace mental, révélant son existence au-delà de la géographie visible et de la réalité physique. Sous la surface de la ville matérielle est tapie une seconde ville, invisible. Une ville qui existe dans la mentalité locale comme le reflet de la réalité du monde visible. Une grande partie de la crise sociétale du Congo actuel, la subjectivité de ce qui est vécu et expérimenté le plus fortement, précisément dans ce contexte urbain, est elle-même basée sur ce décalage entre le premier et le second monde, entre le visible et l’invisible, la vie et la mort, le jour et la nuit, ou entre la réalité et son double. Cet état de fait induit toutes sortes de répercussions dans la manière dont la cité se pense et se crée.

L’imaginaire collectif religieux de la ville, qui s’incarne dans la présence importante des églises, indique clairement la manière selon laquelle l’invisible envahit la réalité visible. L’empiétement des églises de Kinshasa sur l’espace public illustre la force de leur vision de la ville comme le centre d’un nouvel ordre qui commencera le jour du Jugement Dernier. La transformation religieuse que subit actuellement la société congolaise a entièrement placé la cité dans une nouvelle temporalité, celle d’un intermède apocalyptique. Une expérience religieuse, avec de fréquentes références à l’Apocalypse, le Golgotha, Sodome, Gomorrhe, ou le thème des morts-vivants (« les morts ne sont pas morts »), interfère en permanence avec la « vraie » réalité physique et urbaine dans laquelle la ville, le cimetière et les tas d’ordures se mêlent les uns aux autres. Les pratiques urbaines religieuses, telles les confessions publiques en masse retransmises à la télévision, illustrent le changement des relations entre espace public et espace privé. Elles indiquent également des changements plus profonds entre les réseaux sociaux propres à la cité et les matrices morales et éthiques qui constituent la famille, les relations parentales et les affiliations ethniques.

Dans ce champ complexe façonné par des stratégies de survie, la religion, et une ville qui, faute de moyens matériels, « construit » ce qui s’apparente au degré zéro de l’architecture, l’urbanité ne peut plus désormais être appréhendée sous l’angle d’une perception commune de l’architecture comme un « art de construire ». Afin de désigner la place relative que l’architecture occupe au sein de ce champ urbain, et afin d’interpréter la ville au-delà de son architecture et de dépasser le cadre d’une critique architecturale narcissique, le projet « Kinshasa » repose sur une approche anthropologique.


Filip de Boek est né à Anvers, Belgique, en 1961 ; il est professeur d’anthropologie à l’université catholique de Louvain, en Belgique, président du département d’anthropologie sociale et culturelle, et directeur du centre de recherche sur l’Afrique (ARC) rattaché à cette université.

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